Cameroun: Yaoundé – Douala : les «déguerpissements» humilient et déshumanisent les habitants

Déguerpissement – Démolitions – Casses

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Comme de tradition depuis le début de cette année, Le Messager a choisi un nouveau thème de débat pour Cartes sur tables. Ce mois d’août 2008, votre quotidien vous propose le thème de la pertinence des « déguerpissements-démolitions-casses » qui ont actuellement cours dans certaines villes du Cameroun. Ces opérations, engagées depuis près de deux ans au nom du nouvel ordre urbain au Cameroun posent au moins quatre problèmes : premièrement l’incivisme des populations, deuxièmement l’échec du gouvernement dans sa politique sociale et infrastructurelle, troisièmement le laxisme des gouvernements successifs et la cupidité des hommes d’appareil au pouvoir depuis plusieurs décennies, et quatrièmement les aspects socioéconomiques liées à ce genre d’opération. Pour débattre de cette problématique, le premier invité de Cartes sur table est Franck Olivier Kouame. Ce diplômé en droit (option science politique) et en droit international de l’environnement est le secrétaire général du Collectif interafricain des habitants (CIAH-Cameroun). Le CIAH s’est toujours intéressé aux questions relatives à l’habitat et au logement. Le CIAH-Cameroun s’est donné pour objectif d’accompagner les communautés urbaines du Cameroun dans la construction de plateformes locales de production collective de la cité. Car la cité n’appartient pas seulement à l’Etat. Elle est d’abord et avant tout celle des Habitants. A ce titre, la parole de l’Habitant vaut autant que celle des élus. C’est dans cette optique que le CIAH, tout en restant très proche des préoccupations et de la parole des habitants, a participé à l’élaboration d’un certain nombre d’instruments institutionnels de coproduction de la cité. Il s’agit, entre autres, de La Charte africaine de partenariat Habitants et collectivités locales validée lors d’Africités à Windhoek (Namibie en 2000). En général, notre credo est la prise en compte du point de vue des concernés.Entretien à Franck Olivier KOUAME, SG du Collectif interafricain des habitants (Cameroun) Le quartier populeux Ntaba, à Yaoundé, vient d’être rasé sur décision du délégué du gouvernement nommé à la Communauté urbaine de Yaoundé. C’est la suite d’une série de démolitions de quartiers dans la capitale camerounaise depuis plus d’un an. Certaines sources introduites à la Communauté urbaine estiment qu’en 2009 « ce sera pire ». Quel bilan le Collectif interafricain des habitants qui fait de l’observation, des études et des réalisations pour le bien être, fait de cette situation à Yaoundé en particulier et au Cameroun en général ? Dans le cadre de nos études, nous suivons de très près toutes les différentes opérations de déguerpissement qui ont cours au Cameroun. Il faut dire que le déguerpissement peut relever deux aspects : un instrument ou moyen de démonstration de la force légale de l’administration centrale d’une part et, d’autre part, un phénomène de frustrations des couches défavorisées, des minorités fragiles. A l’observation des démolitions des quartiers de Yaoundé voire des autres villes du Cameroun, plus de 90% des déguerpis sont des familles démunies. D’Ekoudou à Ntaba en passant par Mokolo, Messa Carrière et Etetak à Yaoundé, très peu de familles socialement aisées ont été concernées. C’est aussi là l’illustration de l’écart existant entre les riches et les pauvres. Un écart qui prend des proportions inquiétantes. En outre, les populations déguerpies sont généralement des familles qui vivent soit du petit commerce, soit des produits issus de l’agriculture périurbaine dont ils sont à la fois consommateurs et vendeurs. Cependant, même si cette activité ne parvient pas à réduire le chômage, elle aide tout de même les parents à pourvoir auprès de leurs progénitures, des besoins éducatifs, sanitaires et ludiques. De sorte que le déguerpissement pour ainsi dire vient laminer tous les réseaux d’économie solidaire dont vivent ces populations. Si l’année 2009 s’annonce « terrible » comme l’affirme le délégué du gouvernement à la communauté urbaine de Yaoundé, Gilbert Tsimi Evouna, il est à craindre qu’elle consacre la fragmentation urbaine des villes camerounaises, avec des conséquences comme l’insécurité à l’égard des riches, la remontée de la drogue, de la criminalité, etc. De votre observation, pouvez-vous dresser la carte des démolitions déjà effectuées dans les différentes villes concernées et dire quelle appréciation générale vous faites du travail ainsi accompli ? Les deux villes principalement touchées par les démolitions sont Yaoundé et Douala. A Yaoundé, les quartiers Ekoudou, Messa Carrière, Mokolo, Etetak et Ntaba…, qui n’ont pas échappé aux déguerpissements, ont drainé derrière eux des milliers de personnes sans abris, des pertes en biens matériels qu’ils soient meubles comme immeubles, d’une valeur inestimable. De toutes les façons, le bilan moral demeure incommensurable. A Douala, le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala casse aussi les maisons. Mais l’action est davantage concentrée sur les constructions qui gênent les œuvres d’utilité publique. Par exemple, les gens qui occupent les abord des routes, qui bloque les voies d’eau en s’installant sur certains espace sans avoir l’intelligence de les aménager, etc. On a connu des exemples à Bonabéri, à Bonanjo, à Makepe et Bonamoussadi, etc. Le Dr. Ntonè Ntonè semble poursuivre le travail qu’avait amorcé son prédécesseur Edouard Etondè Ekoto, fin 2001, avant d’abandonner on ne sait pourquoi. Sans véritablement faire de grands malheurs, ce dernier avait emprunté des engins du génie militaire pour démolir quelques maisons à Bépanda avec l’objectif de faire passer un grand drain d’eau pour éviter à l’avenir des inondations dans le quartier qui jouxtent la société Sic-Cacaos. Cela a été fait et les inondations ont presque disparu dans la zone. La même chose avait été faite à Ngodi, Bonadibong, etc. Dans la ville balnéaire de Kribi au sud du pays, le ministre des Domaines et des affaires foncières, Pascal Among Adibimé, supervise personnellement l’exercice de démolition des maisons construites très proche de la mer. De cette carte des démolitions, une disproportion se dégage clairement sur l’ensemble du territoire national camerounais. En effet, les villes de Yaoundé et de Douala sont les plus touchées. Qu’en est-il des autres villes ? Est-ce à dire que leurs plans d’urbanisation sont adéquats ? Nous craignons qu’il y ait un peu de saupoudrage dans cette affaire, question d’avoir des capitales (politique et économique) bien « belles »… Et les autres villes alors ? En outre, la raison évoquée par le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé consiste à dire que l’opération vise à rendre Yaoundé « belle ». A quoi cela sert d’avoir une ville belle avec des habitants qui souffrent ? Une ville est d’abord pour ses habitants et non pour des touristes. La vraie beauté d’une ville réside dans sa «vivabilité» et non dans une sorte de poétique de la plasticité. Plus de 5.000 familles, selon des statistiques données par la presse, se sont ainsi retrouvées sans abri à Yaoundé, la capitale. Comment ceux-ci se débrouillent actuellement pour se loger ? A travers les techniques de travail du CIAH-Cameroun que sont l’observation, les enquêtes, les études et le lobbying, on a pu constater que les populations déguerpies sont dispersées sur l’ensemble des quartiers des villes concernées. Concrètement, beaucoup de délogés s’en vont s’installer dans d’autres quartiers périphériques de la capitale dont la situation d’urbanisation n’est pas des plus enviables. Les zones périurbaines dans lesquelles ils vivent sont loin d’obéir aux normes d’hygiène, de salubrité, bref de qualité de vie. De sorte qu’il y a des familles qui ont été déguerpies deux fois en moins de deux ans. Chassées de Etetack, certaines sont allées s’établir à Ntaba qui vient d’être à son tour rasé. En général, ces familles victimes se réfugient soit chez un parent, soit chez une simple relation. D’autres ont estimé mieux de retourner dans leurs localités d’origine, le temps d’y voir clair. Dans nombre de cas, le déguerpissement éclate la cellule familiale et distribue ses membres dans plusieurs autres foyers, ce qui renforce la promiscuité, génératrice de nombreux conflits, voire de maladies sexuellement transmissibles. Selon des sources officielles, ces démolitions visent à instaurer un nouvel ordre urbain où les habitants des métropoles camerounaises pourraient vivre dans un espace relativement meilleur. Partagez-vous cette justification ou, alors, il y a d’autres raisons souterraines que vous pourriez donc évoquer ? Que l’on partage cette assertion ou pas, il est clair qu’au lendemain de l’indépendance, le pouvoir camerounais qui ne s’était pas doté d’une volonté politique efficace en matière d’urbanisation, aurait pu éviter les démolitions que nous connaissons aujourd’hui. Cela aurait permis d’éviter de plonger des milliers de familles – qui sait s’ils ne se chiffreront pas en millions quand l’opération sera terminée, surtout à Yaoundé – dans une situation de sans abris et de causer tant de dommages économiques et psychologiques aux des citoyens. Une chose est certaine et permise : le motif d’utilité publique et d’intérêt général est une condition préalable à l’identification d’une opération de déguerpissement. Autrement dit, la puissance publique jouit de l’autorité et dispose des moyens nécessaires pour commander ou ordonner une démolition lorsque l’architecture urbaine appelle à une certaine modification jugée bénéfique pour les populations. Mais, ici, la question aurait pu être interprétée de manière différente, à savoir pourquoi ces opérations maintenant et pas avant. Même si l’on peut évoquer la croissance démographique accélérée et autres, la question de la caducité et du laxisme qui caractérisent les schémas directeurs d’aménagement urbains est à observer de très près. L’arsenal juridique national est essentiellement répressif pour ceux qui s’établissent sur une parcelle de terre qui ne leur appartient pas. Dans ce contexte juridique, peut-on affirmer clairement que ce qui se passe en ce moment est dûment justifié ? L’expression « déguerpissement » a une existence légale et se trouve dans les ordonnances du 06 juillet 1974 portant régime foncier et dans la loi n° 80 – 22 du 14 juillet 1980 portant répression des atteintes foncières. Toutefois, la définition même de « déguerpissement » n’apparaît pas clairement. La satisfaction vient de la législation tchadienne dont la définition du déguerpissement a l’avantage de combiner le motif du déguerpissement, son objet et la catégorie de personnes concernées par l’opération : « Le déguerpissement est l’opération par laquelle il est fait obligation pour des motifs d’utilité publique à des occupants (…) d’une terre appartenant à la puissance publique de l’évacuer même s’ils ont cultivé ou construit ». Aussi, les ordonnances n° 74-1, 74-2 et 74-3 du 06 juillet 1974 portant régime foncier et domanial font allusion aux bidonvilles comme cause de déguerpissement. La loi n° 80-22 du 14 juillet 1980 portant répression des atteintes foncières dans son article 2 punit de peines, d’amende et d’emprisonnement «(…) ceux qui sans autorisation de la personne qualifiée, exploitent ou se maintiennent sur un terrain dont ils ne sont pas propriétaires(…) » En plus, l’article 2 de la loi portant répression des atteintes foncières reste muette sur la question de l’indemnisation du déguerpi et de son recasement… De toutes les façons, la liste est loin d’être exhaustive et le Cameroun ne dispose pas encore d’un code à proprement parler sur la question foncière. De ce qui précède, il serait plutôt en cours d’élaboration. Il ne serait pas exagéré de dire que le régime juridique sur le déguerpissement est rude et par ricochet ne fait aucun cadeau aux populations ciblées. On en veut pour preuve l’article 13 de l’ordonnance n° 74/1 fixant le régime foncier qui stipule que : « (…)il n’est dû aucune indemnité pour destruction des constructions vétustes ou menaçant de ruines ou celles réalisées en infraction aux règles d’urbanisme. » En réalité, selon la loi camerounaise, la personne déguerpie est abandonnée à elle même. Il est vrai qu’il est facile d’opposer à ce constat le fait que la loi interdit à quiconque d’occuper un espace relevant du domaine privé ou une zone à risque. Seulement, il faudrait non plus oublier que dans le préambule de la Constitution du 18 janvier 1996, il est précisé que : « la propriété est (…) garantie à chacun par la loi. Nul ne saurait en être privé si ce n’est pour cause d’utilité privée. » A partir de là, le législateur peut entreprendre d’humaniser les textes relatifs au domaine foncier. Le droit doit reposer sur deux arguments que sont le juridique et le moral (l’humain). Il faut éviter cette tendance à vouloir tout expliquer ou justifier par le seul droit, parfois même dépassé. L’arsenal juridique international que des défenseurs de l’habitat précaire avancent pour disqualifier l’action du gouvernement parle presque généralement de logements « adéquats ». Il n’évoque que très rarement le cas des personnes établies en un lieu sans titre de propriété. On ne saurait, dans ce cas, s’y appuyer pour défendre les droits des habitants dont on détruit aujourd’hui les habitations. Partagez-vous cette analyse ? En général, ces défenseurs planchent sur l’idée selon laquelle toute personne a droit à un toit. Au niveau international, plusieurs Conventions et Déclarations existent et qui protègent le droit au logement. Entre autre, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte International des droits économiques, sociaux et culturels ratifié par le Cameroun le 27 septembre 1984, la Convention sur les droits de l’enfant ratifiée en 1993, la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, la Convention internationale sur les droits civils et politiques, ratifiée par le Cameroun le 27 septembre 1984. Tous ces dispositifs que le Cameroun a librement ratifiés, au regard des démolitions en cours, ne sont pas pris en compte. Donc, il y a un problème de droit, au plan international, que posent ces opérations. Le Cameroun n’est pas le seul pays au monde qui vit le phénomène de déguerpissements. Ailleurs, tenant compte de ces engagements internationaux, certains Etats trouvent des solutions plus humaines à leurs populations. Les déguerpis, qu’ils soient dans une position légale ou illégale, devraient bénéficier de la protection des droits auxquels allusion est faite. Les personnes déguerpies habitent des zones du domaine national déclarées impropres à la construction. Ne pensez-vous pas qu’il était temps de les rappeler à l’ordre ? C’est là aussi une erreur, une faiblesse, disons le laxisme de l’administration centrale. Comment imaginez que dans un Etat de droit, des individus mettent en valeur pendant des décennies un domaine déclaré celui de l’Etat ou à risque sans qu’ils en soient empêchés? Les déguerpir, c’est en quelque sorte les rappeler à l’ordre, mais cela entraîne la réparation des droits économiques, moraux, culturels que l’Etat se doit d’assurer et assumer. De façon plus pratique, vous avez certainement entendu le délégué du gouvernement Tsimi Evouna dire qu’on ne construit pas sur les flans des collines, ou alors dans les zones marécageuses… On l’a vu détruire avec rage à Etetak. Pourquoi laisse-t-il Mbankolo où des immeubles sont même enfouies dans la montagne, et toutes les autres villas bien bâtis à la base (souvent avec des pierres suspendues) et sur les flans des sept collines de Yaoundé, la cité capitale étant répertoriée comme une zone à relief accidenté ? J’ai envie de lui demander : comment fait-on dans les pays essentiellement alpestres ? Là où passait le Mfoundi en plein cœur de la capitale, on trouve de grands et beaux immeubles, en pleine zone jadis très marécageuse ! Je crois qu’il y a un peu de bluff dans ce que le délégué dit ou fait. Je crois que sa communication n’est pas correcte. Peut-être aurait-il pu dire que l’essentiel de ceux qui ont construit dans les marécages ou les flans de collines à Yaoundé, n’ont pas respecté les normes d’aménagement et de construction en ces endroits, pour justifier la casse de leurs maisons. En prenant le cas de Douala, on voit que la cité est totalement plate à certains endroits. Bonabéri, par exemple, n’est qu’un vaste « marécage ». Pourtant, il y a de très belles bâtisses. Aujourd’hui on y casse non pas des quartiers, mais des individus qui font obstruction ou nuisent aux infrastructures publiques. Il y faut en effet des larges routes pour faciliter la circulation, de grands drains pour évacuer les eaux, des espaces de convivialités, etc., parce c’est cela qui améliore le vie des habitants, et non les casses massives. Les démolitions, aujourd’hui, châtient l’incivisme des populations (des gens qui cèdent des droits qu’ils n’ont pas, des gens qui achètent des zones interdites, etc.). A votre avis, comment on en est arrivé là ? Il faut que le terme « Etat de droit » cesse d’être un simple slogan. Ces pratiques ne sont pas possibles dans un Etat de droit au sens vrai. Si des personnes qui ne sont pas propriétaires parviennent à vendre des espaces à d’autres, si des individus investissent sur des zones à risques sans être perturbés, c’est qu’il y a, il est vrai de l’ignorance dans l’air, mais surtout un manquement au niveau du fonctionnement de l’Etat. A vous suivre, on pourrait dire que le gouvernement a aussi une responsabilité dans cette situation… L’impasse que nous connaissons aujourd’hui est la résultante de l’échec du gouvernement dans sa politique sociale et infrastructurelle en matière d’Habitat: déficit criard de logements sociaux, manque de routes viables, de drains, d’espaces de convivialité, etc. L’absence de prospective en matière d’habitat, l’inertie et l’alourdissement des procédures d’accès au titre foncier, tout cela assaisonné par une paupérisation rampante, ont contraint les populations à trouver des issues de sortie pas toujours appréciables du point de vue juridique et technique. Avaient-ils le choix ? Quand on sait que la majeure partie des grandes villes camerounaises ne bénéficient pas d’équipements urbains de base (les VRD)… Doit-on alors comprendre que le gouvernement est en train de se prévaloir de sa propre turpitude ? Disons que le problème commence par la non application des dispositifs institutionnels qui régissent ce secteur, notamment les schémas directeurs. Non seulement les plus récents datent des années 60, 70 et 80, mais aussi leur mise en application a été plombée par un laxisme et une complaisance qui ont favorisé le désordre urbain que l’on connaît aujourd’hui. Il est sans doute important de signaler que le gouvernement a commencé lui-même par boycotter les schémas directeurs qu’il avait lui-même commandé, notamment en implantant des immeubles de services publics là où cela ne devait pas être. On connaît des cas à Yaoundé et à Douala. Quand l’habitant voit cela, il est probablement conforté dans ses positions de défiance de la règle. En outre, la cupidité des hommes d’appareil au pouvoir depuis plusieurs décennies : on a laissé faire alors que l’on pouvait interdire en application des lois et règlements existants, on a octroyé de faux titres de propriété en échange de pots-de-vin. Il est important que le gouvernement regarde en face ces dommages causés à des populations pour mieux améliorer sa gouvernance en matière d’accès au foncier. L’Etat, en tout cas, a la responsabilité de loger ses habitants, tous ses habitants. C’est l’occasion de signaler que le gouvernement qui casse avec zèle ses gouvernés a lamentablement échoué dans sa politique du logement social. Où sont les maisons pour loger ces cadres et autres agents des administrations ou des entreprises ? Doit-on rappeler que pour obtenir une maison à la louer à la Société immobilière (en sous moyenne notable par rapport à ses missions) c’est la croix et la bannière ? Dans les grandes villes du Cameroun, il est établi qu’environ 75% d’occupants des espaces fonciers n’ont pas de titre de propriété. Dans cette perspective, les lois et règlements nationaux peuvent-elles valablement s’appliquer ? Il appartient au législateur d’ouvrir des possibilités qui permettent la régularisation de cette situation. Cela est possible et admis. Mais tout cela est lié à la volonté politique des autorités. Des textes nouveaux peuvent être pris afin que des titres fonciers soient attribués aux acquéreurs d’espaces fonciers. Cela s’est réalisé à Douala en 2006 à travers un appel de la Communauté urbaine qui a encouragé la régularisation la situation de plusieurs familles ne détenant pas de titre foncier. Même si, ici, l’engouement n’est pas observable. Au-delà de tout débat, les démolitions ont une facture socio-économique lourde. Qu’est-ce que l’on risque de perdre ou de gagner ? Il faut dire que les démolitions que nous connaissons en ce moment au Cameroun relèvent d’une éviction sociale. Elles s’apparentent à une mise à l’écart de certains citoyens en matière de droit à un abri. Vous avez d’ailleurs appris comme moi qu’une vielle femme est morte de froid sous les tôles à Ntaba parce qu’après les démolitions, elle n’avait pas où aller… Il y a fort à craindre que cela n’entraîne dans un avenir proche des mécontentements pouvant déboucher sur des situations difficiles à maîtriser. La tentation est grande de se laisser séduire par l’argument de la beauté que l’on voudrait rendre à ces villes. Cependant, l’on n’est pas toujours au courant des tractations qui peuvent être faites par des gros bonnets dans l’objectif d’acquérir ces espaces. Et puis à quoi ça sert d’avoir une belle ville où les gens se regardent en chien de faïence ? Quelle alternative le Collectif interafricain des habitants propose pour adoucir les effets de cette créée par les habitants et déclenchée par le gouvernement ? Le Collectif a trois axes de proposition sur la question. Le premier est de faire comprendre au gouvernement la nécessité d’instaurer une concertation ouverte en la matière. La question est suffisamment complexe pour qu’une seule personne, le délégué du gouvernement, croie détenir à lui tout seul la solution à savoir le déguerpissement. Il faut dans l’urgence une alternative aux déguerpissements. D’ailleurs, dans les Objectifs du Millénaire pour le développement, au niveau de la cible 11, il est mis en exergue, « le besoin d’améliorer les conditions de vie pour au moins 100 millions d’individus qui vivent dans des bidonvilles, d’ici 2015 ». Les déguerpissements risquent d’entrer en contradiction avec cet engagement que le Cameroun et le reste de la communauté internationale ont pourtant pris. Le deuxième axe est d’ordre pratique ; les familles déguerpies vivent généralement des lendemains très douloureux : dormir à la belle étoile, occasionner la promiscuité chez le voisin, chez des amis… Il serait responsable de la part du gouvernement de leur prévoir des sites d’accueil provisoires, le temps pour elles de se remettre de leur drame. Pour sa part, le Collectif a entrepris depuis 2007 avec l’appui d’une Ong chilienne, Selavip (Service latino américain et africain pour le logement populaire) de venir en aide aux populations en détresse sur le plan de l’Habitat. C’est dans ce cadre que nous avons appuyé environs 70 familles (construction de latrines, pose de toit, crépissage) dans la banlieue de Minkoameyos à l’Ouest de Yaoundé. Parmi les bénéficiaires, de nombreux déguerpis. Nous avons prévu cette année d’étendre le projet dans d’autres quartiers, en mettant un accent particulier sur les familles déguerpies en voie de s’installer. Enfin, nous proposons aux responsables en charge de la gestion de nos villes d’être plus prospectifs. De ne pas seulement s’occuper des centres urbains, de préparer la périphérie à accueillir de nouveaux occupants, cela de concert avec les propriétaires fonciers. Question d’éviter de nouvelles impasses.

Par Entretien avec Alexandre T. DJIMELI
Le 08-08-2008